Philippe Lançon raconte
« Je n’ai pas de colère, j’ai de la tristesse. Une tristesse infinie pour ce qui a eu lieu »
Ce sont les mots de Philippe LANÇON pour présenter « LE LAMBEAU », prix Fémina 2018 et Prix spécial du Jury Renaudot.
Presque quatre ans ont passé depuis l’attentat de CHARLIE HEBDO et les attentats de Janvier 2015. Philippe Lançon va mieux mais il est encore en reconstruction physique et psychologique.
Son livre raconte tout : avant, pendant, après. (Avant et pendant ont déjà été présentés sur ce blog, en date du 13 Novembre dernier). Tout y est décrit avec une minutie extrême comme si l’auteur était le double de lui-même (il le dit d’ailleurs) et voyait tout en spectateur.
C’est un peu la même chose pour l’après. Des mois et des mois d’hôpital, La Salpêtrière d’abord, puis Les Invalides. Une bonne vingtaine d’interventions chirurgicales et toutes les difficultés qu’elles comportent. Pour raconter pratiquement jour après jour, sa précision est presque scientifique, il est toujours celui qui observe et n’entre en relation avec les autres qu’avec son ardoise et son feutre. Interdiction de parler, il faut que la greffe de la mâchoire prenne et ce n’est pas gagné.
Le Lambeau. Qu’est-ce qu’un lambeau ? La définition chirurgicale est donnée sur la quatrième de couverture : « Segments de parties molles conservées lors de l’amputation d’un membre pour recouvrir les parties osseuses ».
Ici ce n’est pas exactement cela puisqu’il s’agit d’une greffe. On lui prend d’abord un péroné pour remplacer la mâchoire absente puis de la peau, de la chair pour recouvrir. Ce lambeau, il l’appelle son « escalope ». C’est dire s’il a le recul sur lui-même et l’esprit de dérision. Il en faut pour combattre les cauchemars, les peurs, les hallucinations même.
Ne pensez pas que cela soit épouvantable à lire. Non, même si ce qu’il dit est la réalité, son écriture est suffisamment pudique pour épargner le lecteur. C’est un livre très fort, certes, dur par ce qu’il expose, mais également plein d’empathie, voire de tendresse, pour les soignants, la famille (ses parents et son frère) et les amis les plus proches, ceux qu’il appelle son « cocon ». Il fait d’eux de très beaux portraits.
C’est la solitude à l’hôpital bien sûr et il refuse la télévision ou la radio mais il communique avec l’extérieur grâce aux emails et écrit des articles pour les journaux pour lesquels il travaille habituellement, Libération et Charlie Hebdo.
Ses rapports avec sa chirurgienne sont très forts, ils exigent beaucoup l’un de l’autre car il faut réparer. « Mon corps entier s’est réfugié dans ma mâchoire », écrit-il.
Ce livre ne parle pas seulement de reconstruction mais beaucoup de ce qui est pour lui un baume. Ce sont le cinéma, la littérature et la musique. Une journée ne peut exister sans Bach, par exemple.
Et n’oublions pas le sourire quelquefois. « La mort de la grand-mère continua de rythmer les descentes au bloc. Il ne s’agit pas de ma grand-mère (…) Mais celle qui me prépare avant le bloc est une fois de plus la grand-mère du narrateur de la Recherche… » Vous l’avez compris, il s’agit de Proust et de la Recherche du Temps perdu. « Toutefois, elle ne me suit pas sous le drap du brancard jusqu’au monde d’en bas. Sa mort est trop longue pour le temps du brancard ».
Cela va donc devenir une sorte de fil rouge souriant pour chacune des multiples interventions que Philippe Lançon devra subir. « Le vendredi 23 janvier, je lis la mort de la grand-mère et je descends au bloc». Plus loin, « Le mardi 27 janvier, je lis la mort de la grand-mère et je descends au bloc », etc… on peut rire de tout et surtout de soi-même.
Il semble indispensable d’ajouter quelque chose qui n’est pas dans le livre. Le 14 juin 2015, la famille et les amis de Philippe Lançon ont voulu lui faire une surprise. Lors d’une sortie de l’hôpital ils l’ont conduit dans un lieu où était installé un piano à queue et le pianiste Alexandre Tharaud a joué pour lui la musique qu’il aimait dont les variations Goldberg de Bach évidemment. Il a donc écrit un texte intitulé « Sonate de sortie » paru dans la N. R. F. (Nouvelle Revue Française) le 15 Novembre dernier.
Un livre extraordinaire fluide, simple et cultivé à la fois grâce au très beau style de l’auteur. Lorsqu’il a reçu le Prix Fémina, il a déclaré: « Mon père est mort le jour où je recevais les épreuves de ce livre. Il n’a pas pu le lire. Et c’est à lui que je pense ». Ce père qui lui avait tenu la main et lui qui a tenu la sienne dans ses derniers moments.
LE LAMBEAU n’est pas un lambeau au sens habituel du terme mais un livre que l’on n’oublie pas et que l’on garde et pour terminer laissons la parole à Philippe Lançon :
« ON ÉCRIT AVANT TOUT POUR LES VIVANTS, MAIS ON PENSE AUX MORTS ».
M-José – M-C/Librairie Doucet
Le Lambeau – 512 pages – prix : 21 €
Une réponse à “Le Lambeau – Philippe Lançon – Editions Gallimard”
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