CHRONIQUE SOUTERRAINE !
Nous avons tous peur de mourir et c’est normal, nous sommes des humains ! Les premières pages de ce roman extraordinaire posent la question : « Si les morts pouvaient parler, que diraient-ils ? » « LE CHAMP » est un drôle d’endroit dans le village, car il s’agit du cimetière ! Mais, CE CHAMP, C’EST LE MONDE. CES VOIX, NOS VIES.
Ainsi, Robert Seethaler, romancier autrichien, redonne vie à vingt-neuf disparus, tous originaires de la même bourgade. Il fait parler les morts de Paulstadt, une ville autrichienne imaginaire, dans la Markstrasse qu’ils ont habitée ou fréquentée. Chaque mort prend donc la parole à tour de rôle et devient narrateur. Chaque chapitre est une voix, chaque voix qu’on entend, ce sont les voix des gens qui dorment dans « le champ« , la terre qu’ils partagent tous désormais. Ainsi, en quelques pages ou quelques mots, ils reprennent vie et certains d’entre eux nous fascinent et nous marquent. Il y a une sorte d’intimité dans leur manière de se livrer ou de résumer leur passé (leurs amours, leurs bonheurs, leurs réussites ou échecs, leurs rancœurs, amitiés, jalousie etc... Leurs vies tout simplement ! ) Ils étaient fleuriste, primeur, facteur, professeur, sans véritables liens, mais pouvaient se connaître. On se rappelle de la marchande de chaussures parce qu’elle veut vivre une grande vie et qui râle sans arrêt après son mari. Puis, on retrouve le curé qui est tellement illuminé qu’il a mis le feu à son église et on se demande bien pourquoi ! On reconnaît Monsieur le Maire parfois cynique, parfois sincère. Il y a Marie, la doyenne de 105 ans qui dit : « J’ai été une enfant. Puis une dame. Puis de nouveau une enfant. De l’entre-deux je ne me souviens pas. En tout cas j’étais une jolie dame » (p. 211). Et celle qui va être la prostituée du village et du coup, elle raconte tout le village, elle a connu tout le monde intimement !.
Hannes Dixon, un des narrateurs, reporter-rédacteur-éditeur du « Courrier de Paulstadt, nous livre ces quelques mots : « Chaque instant porte en lui le temps dans sa globalité; dans les vitres de la Markstrasse se reflète le monde entier. » (p.225)
Que reste-t-il de la vie après la mort ? Quelques dates, des regrets, des amours, de l’amitié ?
Un livre bien écrit, sans pathos. Une langue très belle, très poétique, il y a des moments où l’on rit malgré le sujet. C’est un bouquet d’émotions et c’est vraiment touchant. Certaines histoires commencent de manière un peu dure, parfois lugubre puis à la fin, on se marre.
Librairie Doucet/M.Christine
LE CHAMP – traduit de l’allemand (Autriche) par Elisabeth Landes – prix : 21 € – 276 pages – (parution : janvier 2020)
Robert SEETHALER, né en 1996, vit à Berlin. « Le Tabac Tresniek » (2014) et « Une vie entière » (2015), tous deux parus chez Sabine Wespieser éditeur, l’ont imposé en France et ailleurs comme un des écrivains de langue allemande les plus importants de sa génération. « Le Champ » (Das Feld), publié en 2018 en Allemagne, y a connu ainsi qu’en Autriche, un succès retentissant.