Coeur de neige – Christian Bobin – Collection Théodore Balmoral – Éditions Fario

Cœur de neige s’apparente au genre du conte animalier dont les protagonistes sont, comme on s’y attend, anthropologisés, mais dont rien dans le déroulement de l’histoire n’est invraisemblable, bien au contraire : le merveilleux réside au cœur de la réalité quotidienne. Il y est question d’un couple formé par Tacite, « un chat de gouttière au pelage noir et aux manières calmes » travaillant comme ingénieur dans une centrale nucléaire, et de Bruhle, « une chatte angora qui, à l’époque de leur mariage, suivait des études d’architecture et depuis s’était installée à son compte dans un commerce de lingerie fine ».
Ce couple ressemble à tous les couples chez qui alternent, on ne le sait que trop bien, des périodes de lumière et d’ombre. Mais il se trouve que cette vie conjugale réserve à Tacite plus souvent l’ombre que la lumière. Tacite conçoit vite qu’il est devenu, aux yeux de celle dont il est censé partager la vie, totalement transparent si ce n’est parfaitement inexistant. Un souvenir d’enfance, où le portrait des parents de Tacite est brossé, précise la précarité financière de la famille dans laquelle il a grandi, et révèle que Tacite connaît d’expérience l’alternance de la lumière et de l’ombre — l’école lui a ainsi réservé des leçons d’écriture et de vie, ce qui est la même chose.

Au passage, en voici une : « On peut fort bien vivre une vie que l’on ne vit pas. On peut indéfiniment supporter ce que l’on ne supporte plus. » Puis Brulhe la négligente finit par disparaître et par plonger Tacite dans des ténèbres définitives. Le chat réalise alors que la seule lumière qui l’a illuminé émanait d’elle seule. La fin de l’histoire a lieu durant la nuit de Noël où Tacite vide une bouteille de champagne puis fait une expérience aussi innocente et fantaisiste que déterminante — elle nécessite seulement un cœur d’enfant. Vous demanderez sans doute : « Quel est l’enseignement de ce conte ? » Posez cette question aux flocons de neige. Il y a des chances que vous soyez — entretemps amusé, émerveillé mais aussi édifié — durablement éclairé par leur réponse.

À l’image de Cœur de neige, qui appartient au genre du conte de Noël, son œuvre, plus contrastée qu’on ne le dit, plus âpre et douloureuse qu’on ne l’a écrit, raconte à ses lecteurs la profondeur du malheur quotidien. Mais elle révèle aussi la possibilité de s’y soustraire par un émerveillement simple qu’apportent certains livres touchés par la grâce et, parmi eux, ceux de l’auteur de « La Part manquante » et d’ « Une petite robe de fée« .

LIBRAIRIE DOUCET LE MANS/M. Christine

Christian Bobin, né le 24 avril 1951 au Creusot, est décédé le 23 novembre 2022 à Chalon-sur-Saône. Il repose à Marciac dans le Gers.

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