La fille de 58 ! La fille de S !
« Toujours des phrases dans mon journal, des allusions à « la fille de S », la fille de 58″ dans mes projets de livres. C’est le texte toujours manquant. Toujours remis. Le trou inqualifiable » dit Annie Ernaux.
« Le temps devant moi se raccourcit. Il y aura forcément un dernier livre, comme il y a un dernier amant, un dernier printemps, mais aucun signe pour le savoir. L’idée que je pourrais mourir sans avoir écrit sur celle que très tôt j’ai nommée « la fille de 58″ me hante. Un jour il n’y aura plus personne pour se souvenir. Ce qui a été vécu par cette fille, nulle autre, restera inexpliqué, vécu pour rien » (p.18)
« Je regarde la photo d’identité en noir et blanc (p. 19) […] Un pull sombre, à col officier et manches raglan, donne un effet austère et plat de soutane. Au total, une jolie fille mal coiffée, dégageant une impression de douceur, ou d’indolence, à qui aujourd’hui on donnerait davantage que ses dix-sept ans » et il s’agit de :
Annie Duchesne (son nom de jeune fille), âgée de dix-huit ans qui est monitrice dans une colonie à S, dans l’Orne. Pour la première fois, elle quitte Yvetot, le cocon familial, le café-épicerie de ses parents, le temps d’un été, en tant que monitrice de colonie de vacances. Tout est nouveau ! Elle est loin de ses parents.
A l’époque, elle fait ses études dans une institution catholique (non mixte), demi-pensionnaire, elle est plutôt bonne élève.
Elle raconte cette première fois, première expérience sexuelle avec H., moniteur avec qui elle passe la nuit. Sous domination masculine, elle se donne à lui. Elle est amoureuse mais s’aperçoit que le lendemain ce même garçon s’entiche d’une autre fille. Annie D. devient sujet à moqueries, de fille facile, de « putain sur les bords ». C’est la liberté totale, la sexualité, l’alcool, la mixité… Tout à la fois, mais quel choc !
Des erreurs dont elle gardera longtemps les stigmates dont elle aura du mal à se remettre. Elle aura cette expression : « Ne pas en revenir » …. »Je n’en suis jamais revenue » – « Je ne me suis plus jamais relevée de ce lit ». En 1958, c’était la honte…
Dans son récit, Annie Ernaux utilisera le « je » pour parler d’elle au présent et le « elle » pour la fille de 58.
Un récit de 150 pages très personnel, très intime mais rien de trop. Des années qui l’ont marquée à vie dont la mémoire paraît intacte. Un beau texte que l’auteur a tardé à nous dévoiler. A découvrir.
Marie-Christine,
Quelques livres connus : Les armoires vides (1974) – La place (1983) Prix Renaudot – La honte (1997) – L’écriture comme un cadeau (2003) – Les Années (2008)