« Chaque guerre est la toute dernière » Jean Giraudoux.
KWAÏ, LE PONT DES SOUVENIRS.
« Ce soir-là, mon père avait loué « Le pont de la rivière Kwaï ». Il glissa la cassette dans l’appareil et la déesse de La Columbia apparut de nouveau. »
« Vous souvenez-vous du film de David Lean « Le Pont de la rivière Kwaï » adapté d’un roman de Pierre Boulle ?
« Avec Kwaï (prononcer Khwae, Kwé), Vincent Hein, part sur les traces de son enfance, les soirées cinéma calé contre son père, près de la cheminée et devant la télévision et du film « Le pont de la rivière Kwaï » où l’histoire des guerres passées se mêle à la description de la Thaïlande actuelle et à ses souvenirs. » Alors, partir sur les rives de la célèbre rivière, c’est plonger dans les eaux troubles de la mémoire. » Là-bas, le spectacle touristique ne cache pas l’exubérance de la nature ni le souvenir des cruautés ».
Le récit débute en juillet 2014 à Kanchanaburi. L’auteur n’évoque pas seulement la rivière Kwaï et le célèbre pont, il évoque la seconde guerre mondiale et les événements douloureux liés à la présence du Japon et de ses actions extravagantes.
Ce texte assez court, moitié autobiographique, moitié historique s’égrène en dix-sept courts chapitres qui racontent par alternance un événement historique, puis le souvenir d’un parent plongé au cœur du combat. Il se souvient : – de l’Oncle Hubert revenu de l’enfer complètement défiguré après avoir été interné au Camp du Struthof en Alsace, seul camp de concentration construit en France par les nazis durant la guerre – de son grand-père qui répond en pirouettant (alors qu’il feuilletait les albums et photographies) : » Je préférerais que tu te choisisses un beau livre. Ces choses-là ne sont pas pour les enfants. Que veux-tu que je te dise ? Sinon qu’il faut vraiment être malheureux pour s’en aller déclarer une guerre, tirer sur des gens qui ne vous ont rien fait et passer son temps, ensuite, à vouloir s’en souvenir. (p. 54)
Pétri de culture chinoise, Vincent Hein nous rappelle les circonstances qui ont déclenché la guerre sino-japonaise lorsque Hirohito monte sur le trône a 25 ans et que, entouré de généraux batailleurs et xénophobes qui le persuadent d’envahir l’Asie pour le charbon et le pétrole. « Ils s’imaginent conduire une guerre sainte, une croisade, un combat divin. Ils bombardent Nankin enjambant les fortifications, ouvrent en grand les portes de la ville et massacrant entre 50 000 et 90 000 personnes. » (p.47) L’occasion pour l’auteur de nous rappeler l’horreur de la construction de la voie de chemin de fer reliant la Thaïlande à la Birmanie en 1931. – 12 400 prisonniers de guerre alliés et 70 000 travailleurs civils asiatiques, hommes, femmes et enfants, travaillant à mains nues et morts au cours de cette construction. – Pékin tombe en 1937.
Un sujet bouleversant, une langue remarquable. De nombreuses références cinématographiques et littéraires. Ce livre est beau. Il relie comme un pont le passé au présent ; c’est un bel hommage aux hommes qui ont été cruellement broyés par leurs semblables. Un bel hommage également aux nombreux naturalistes que l’auteur admire et qui ont permis l’introduction de nouvelles plantes venues de l’Orient.
Un excellent sujet de réflexion, de méditation sur la guerre, l’enfance, les souvenirs et la mort. A lire absolument !
M. Christine
Vincent Hein est né en 1970 en Moselle. Il passe une partie de son enfance à Abidjan : « Ces années m’ont donné à tout jamais le goût d’ailleurs, des autres et ce sentiment doux amer d’être pour toujours un étranger chez soi » écrira-t-il ! Il a vécu de nombreuses années en Chine où il fait ses études à l’école normale supérieure des langues étrangères à Pékin et y apprend le chinois puis s’initie au droit. Suite aux événements (manifestation étudiante) du 4 juin 1989, Place Tien Anmen, il est rapatrié.
Vincent Hein est l’auteur de : « Les Flamboyants d’Abidjan », Editions Stock (2016) – « L’Arbre à singes » Editions Denoël (2012) – « A l’est des nuages, carnets de Chine » – Editions Denoël (2009)
Kwaï – 140 pages – Prix : 15 €