Une montagne en rage…
Enthousiaste, débordant de vitalité, Daniel Picouly est non seulement écrivain, mais aussi animateur TV et scénariste de BD.
Il fut principalement connu quand il publia « Le champ de personne », roman très autobiographique. Il est le onzième enfant d’une fratrie de treize. Son père est originaire de la Martinique et sa mère du Morvan.
Il s’agit de son vingt-sixième roman et dans ce roman, nous sommes justement à la Martinique, en 1902. Dans certaines interviews Daniel Picouly raconte que si, ce jour-là, son ancêtre avait pris la navette qui devait l’amener à Saint-Pierre, la ville principale, il ne serait pas là aujourd’hui pour rapporter les faits.
Le Jeudi 8 Mai 1902, jour de l’Ascension, la Montagne Pelée, ce volcan qui domine Saint-Pierre a détruit la ville et ce qui importe à l’auteur c’est de nous faire vivre les dernières heures avant l’explosion fatale.
Saint-Pierre passe alors pour la plus belle ville des Caraïbes, le « Petit-Paris », comme on l’appelle alors et il y règne un esprit encore très XIXème siècle. Il faut donc voir les personnages avec leur vie et leurs réactions de l’époque, que ce soit le gouverneur Mouttet, Madame Pantiss et ses deux filles, le curé et tant d’autres encore…
La grande originalité voulue par l’auteur est que c’est la Montagne Pelée elle-même qui raconte. Elle a décidé de détruire, de tuer, mais avant elle observe. Elle voit le duel qui a lieu au Jardin Botanique : ce planteur qui ne veut pas se battre lui-même mais paie un « tueur » pour se débarrasser d’Othello. Othello aime Louise, la protégée du planteur qui veut l’épouser. Othello, l’enfant du fleuve, « pas tellement noir » et si sympathique, l’enfant de Julie aussi, la lavandière qui l’a recueilli comme un Moïse sauvé des eaux. La Montagne Pelée voudrait bien sauver les amoureux, leur donner une chance et il faut bien que des survivants racontent et elle doute quelquefois.
Cependant la ville est déjà recouverte de cendres, la Roxelane, la rivière, gonfle et déborde. Les gens ne savent plus s’ils doivent s’enfuir ou rester. Certains rassurent car les élections approchent et il faut les gagner ! D’autres embarquent dans les derniers bateaux qui partent le plus vite possible. Certains auront la chance ou l’instinct de ne pas prendre la dernière navette qui part de Fort-de-France pour rejoindre Saint-Pierre.
Tout cela, la Montagne Pelée l’observe. Elle voit le savant qui fait ses calculs pour savoir où passera la coulée de lave. Et tout cela est historiquement et terriblement vrai.
On assiste à des scènes que le style bouillonnant de Daniel Picouly rend fantastiques. Aussi, même si c’est tragique et si l’émotion est présente, le lecteur n’est pas écrasé, grâce à la verve, au lyrisme, au foisonnement du vocabulaire, à la truculence parfois qui amène le sourire.
Il nous parle aussi du « courage d’avoir peur » et beaucoup de la vanité des hommes, ce qui est encore valable de nos jours. C’est donc une satire sociale également avec une lumière, celle apportée par Louise et Othello car on attend le miracle. Se produira-t-il ? Daniel Picouly tient ses lecteurs avec cette question.
Citons le dernier chapitre, lorsque le volcan explose. L’ogresse n’a pas pu se retenir . Elle vomit sa lave et ses pierres. C’est « la nuée ardente » et l’onde de choc. Nous y sommes, nous le voyons, nous le sentons, le ressentons. Peut-on dire que c’est magnifique ? C’est magnifique ! Pourtant « le diable a bu du rhum » et le 8 Mai 1902, la Montagne Pelée a tué à Saint-Pierre 30 000 personnes en quatre-vingt-dix secondes. Il était 7 Heures 52. »
M-José/Librairie Doucet/M-Christine
« Quatre-vingt-dix secondes » – 272 pages – prix : 19,50 €
Très éclectique, Daniel Picouly écrit sur de nombreux thèmes : « Le champ de personne »(1995) Grand prix des lectrices de ELLE puis avec « l’Enfant léopard », il reçut le prix Renaudot, 1999. Il a publié « La nuit de Lampedusa » – La faute d’orthographe est ma langue maternelle » et « Le cri muet de l’iguane ». Il anime une émission littéraire sur France Ô.