Intervalles de Loire- Michel Jullien – Editions Verdier

Aventure ligérienne à bord d’une barque !

Le héros de cette aventure, c’est la Loire. L’auteur et deux de ses amis décident de descendre le fleuve à la rame d’Andrézieux-Bouthéon à Saint-Nazaire, sur 850 kilomètres à bord de « Nénette », un esquif de quatre mètres carrés. Tour à tour, ils sont au bastingage, à la vigie, ils nous font partager les rôles de rameur, de barreur. Le jour, ils souquent chacun leur tour. La nuit, ils campent sur de petits îlots, dérangés par le coassement des grenouilles… et vous aurez un petit aperçu en lisant ce court extrait :

« L’esquif est à l’appontement, couché dans l’herbe, gris sur vert. L’un de nous part à la recherche du premier repas. Il s’en revient les bras chargés, de quoi boire au départ, de quoi dîner, du pain, du fromage, des fruits et une grande boîte de cassoulet des Landes étiquetée « Reflets de France ». En ville, il a croisé des devantures de restaurants avec la même spécialité au menu : la grenouille. A bien regarder, elles ne sont pas de Loire mais importées de Pologne, plus charnues, cuissées, plus grosses à l’assiette -peut-être moins bavardes que celles d’ici. Nous ne savions pas, les grenouilles allaient miner notre sommeil, vingt-six nuits de suite ou presque, plus que les moustiques, satanés batraciens, sacré pharynx, nous allions le découvrir au premier soir. La bestiole s’y prend comme ça, elle vous laisse dormir d’abord, ce n’est qu’ensuite. Elle s’y met doucement, timorée d’œsophage, comme si elle ne voulait surtout pas déranger. Il suffit d’une, toute seule, dix autres lui répondent, vingt, un chorus de jabots jusqu’au crescendo de la berge opposée, du coït en écho. A plein régime, il faut se représenter une bande nourrie de bikers, tous en Harley-Davidson, à un feu rouge toute la nuit, attendant qu’il passe au vert, lequel reste rouge toute la nuit. Après quelques journées nous prîmes soin d’aller nous coucher avec des réserves de galets à portée d’oreiller, c’est l’unique moyen, faire taire. L’animal accroupi commence son bonheur d’amygdales. Sans ouvrir les yeux, sans sortir du sac, nous lançons une poignée de cailloux vers l’épicentre des coassements. Tout se tait, nous nous rendormons comme les surveillants d’un internat de tétrapodes puis, quelque part, timide retour de gorge, un œdème de gosier, début d’orgasme phonatoire, nouvelle volée de cailloux, un jet de pierres suffit à dormir dix minutes, le sommeil paradoxal. Ronfler sur des œufs, dans une promiscuité de l’ouïe.« (p.24)

Laissez-vous emporter au fil de l’eau. Goûtez chaque phrase, chaque mot et savourez cette langue superbe et très poétique. C’est un vrai bonheur que de lire cet auteur, surtout de voguer à ses côtés, tout au long de cette magnifique aventure. Non seulement, il nous fait ressentir, nous sensibiliser à tous les bruits, y compris ceux des humains, mais aussi les odeurs, la faune la flore, les insectes, les oiseaux. Puis, il n’oublie pas la littérature, car au fil de l’eau, il convoque et embarque avec lui de nombreux passagers très prestigieux, tels que : Julien Gracq, Gaston Bachelard, André Dhôtel, Pierre Bergougnioux, Curzio Malaparte, Henry David Thoreau, Henri Bosco, Charles Ferdinand Ramuz, Henri Michaux et tant d’autres… sans oublier le cher Jules Renard de Chitry-les Mines où il fut maire.

Une lecture agréable au style raffiné.

Intervalles de Loire – 124 pages – prix : 14 € – (parution février 2020)

Librairie Doucet/M.Christine

Michel Jullien est né en 1962. Après une formation de tourneur-fraiseur, il entreprend des études littéraires qui le conduiront à enseigner au Brésil (Belem). De retour en France, il fait ses premières armes dans l’édition, chez Hazan, puis chez Larousse avant d’animer une maison d’édition spécialisée dans les arts décoratifs. En marge des livres, en marge de l’édition, il s’adonne à sa plus grande passion : la montagne. Après avoir gravi une centaine de sommets dans le massif du Mont-Blanc, des Écrins et des Pyrénées, il cesse l’escalade à quarante-cinq ans et se consacre à l’écriture. Il vit aujourd’hui à Paimbœuf, au bout de la Loire. Sa biographie aux éditions Verdier : « Compagnies tactiles » (2009) – « Au bout des comédies«  (2011)« Esquisse d’un pendu » (2013). – « Yparkho«  (2014). Prix Tortoni 2015 – « Denise au Ventoux«  (2017) (Prix Frans Hessel – Prix 30 millions d’amis) – « L’Île aux troncs«  2018. (Prix de l’ENS)


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