UN INOUIBLIABLE RÉCIT

Présentation : Pendant qu’il écrit son troisième roman, « Langue maternelle« , qui paraîtra en 1982, Josef Winkler loue une chambre dans une ferme de montagne de Carinthie. Il noue alors une relation de confiance avec sa logeuse, qui se met à lui raconter sa vie : née en 1928 en Ukraine, elle est arrivée en Autriche à l’âge de quinze ans, amenée de force avec sa sœur par l’armée allemande pour travailler dans une exploitation agricole.
C’est à Nietotchka Vassilievna Iliachenko que l’écrivain donne la parole dans la plus grande partie de ce livre. Le lecteur suivra ainsi le destin douloureux de la jeune paysanne dont la famille fut éprouvée par les expropriations massives, puis par l’Holodomor, « l’extermination par la faim » infligée à l’Ukraine par le pouvoir soviétique.
Une figure, celle de la mère qu’elle n’a jamais revue, domine cette autobiographie d’une intensité bouleversante et dont Josef Winkler a tenu à préfacer la traduction française. Elle est accompagnée de documents authentiques : les lettres de la mère à ses deux filles.
« Un jour, lorsqu’on croisera les mains de Nietotchka Vassilievna Iliachenko, les tournesols de ce pays s’inclineront tous devant son cercueil, ils se détourneront du soleil et, refermant sur leurs graines noires les pétales de leurs lourdes têtes, ils porteront le deuil. Alors, dans ce pays où elle fut amenée de force et où elle resta pour son époux, pour ses enfants, alors dans ce pays il n’y aura plus de tournesols jaunes, dans ce pays il n’y aura que des tournesols noirs ».(p. 48-49)
Comment ne pas être bouleversé par le destin de cette famille ukrainienne ? Comment ne pas être marqué par la vie de Nietotchka Vassilievna Iliachenko, 15 ans, arrachée à sa famille en 1943, emmenée de force et transportée dans des wagons à bestiaux, en Carinthie (Autriche) par l’armée allemande pour compenser le manque de main d’œuvre, un travail obligatoire dans la campagne autrichienne, à la botte du régime nazi . ?
Un livre documentaire qui nous fait prendre conscience de cette ignominie inconcevable orchestrée par Staline dans les années 1930 qui a fait des millions de morts : « l’holodomor » un mot pour dire l’impensable : l’extermination par la faim, infligée à l’Ukraine qui reste dans la mémoire de ce pays meurtri mais que le reste du monde a oublié.
Vu l’actualité déchirante que vit l’Ukraine depuis six mois, ce témoignage d’une grande qualité est vraiment très poignant et nous rapproche de l’Ukraine qui vit un évènement absolument effroyable que personne n’aurait cru et imaginé qu’il se produirait en Europe, en 2022 et encore moins Joseph Winckler qui a enregistré, en 1981, le récit de cette femme qui ressentait le besoin de témoigner, au moment même où il écrivait « Langue maternelle ».
LIBRAIRIE DOUCET LE MANS/Marie-Christine
Né en 1953, lauréat du Prix Büchner et traduit dans de nombreuses langues, Josef Winckler est l’un des principaux écrivains autrichiens d’aujourd’hui. « L’Ukrainienne » est son dixième livre traduit aux éditions Verdier.
L’Ukrainienne – 272 pages – Parution : 20/01/22 – Prix : 22 € – Traduction de l’allemand (Autriche par Bernard Banoun – Préface de Josef Winckler à l’édition française).