Didier Decoin, secrétaire général et membre du Jury du Goncourt a annoncé ce lundi 6 novembre 2017, que le prix Goncourt était attribué à : Eric Vuillard pour : « L’Ordre du jour »
Après l’extraordinaire « 14 Juillet » paru en 2016, l’écrivain récidive avec « L’ordre du jour », nouveau petit chef-d’œuvre ! Quel écrivain !! Ses livres ne sont pas bien gros, ici 150 petites pages mais c’est plein, dense, pas un mot en trop, pas un mot en moins. Souvenez-vous de « 14 Juillet » ou la Révolution française vue du peuple, de manière toute différente. Flamboyant.
On retrouve ici la même concision qui donne de la force aux propos. Nous sommes à Berlin, le 20 Février 1933. « Ils étaient vingt-quatre, près des arbres morts de la rive, vingt-quatre paires d’épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois pièces, et le même nombre de pantalons à pinces avec un large ourlet. Les ombres pénétrèrent le grand vestibule du palais du président de l’Assemblée ; mais bientôt, il n’y aura plus d’Assemblée, il n’y aura plus de président et, dans quelques années, il n’y aura même plus du Parlement, seulement un amas de décombres fumants. (E. V.)
Parmi ces vingt-quatre personnages du monde de l’économie, de la finance…, des tout-puissants donc, citons en exemple Wilhem Von Opel, Gustav Krupp… Ils sont face à Goering d’abord, puis face à Hitler et ils font allégeance. Nous assistons à l’annexion violente de la pauvre Autriche, au martyr de juifs de Vienne et d’ailleurs. Ces vingt-quatre personnes, nous les connaissons tous au travers de leurs sociétés : BASF, Bayer, AGFA, Opel, Siemens, Allianz, Telefunken…« Notre quotidien est le leur ». Maintenant tout est toujours là, en dépit de tout.
« On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d’effroi. Et on voudrait tant ne plus tomber qu’on s’arc-boute, on hurle. A coups de talon, on nous brise les doigts, à coups de bec on nous casse les dents, on nous ronge les yeux. L’abîme est bordé de hautes demeures. Et l’Histoire est là, déesse raisonnable, statue figée au milieu de la place des Fêtes, avec pour tribut, une fois l’an, des gerbes séchées de pivoines, et, en guise de pourboire, chaque jour, du pain pour les oiseaux. » (E.V.)
Des répétitions, des énumérations, qui sont autant de coups de poings, de coups de mots pour frapper le lecteur avec à la fois ironie mordante et grand sérieux.
C’est flamboyant et éblouissant pour ce nouveau prix littéraire.
Paru en début d’année, « L’ordre du jour », en finale pour le Goncourt 2017, était proposé dans la sélection de l’été dernier- (150 pages – 16 €uros) Marie-José/M.Ch
Ecoutez en cliquant ici : Bernard Pivot, Président du Goncourt, depuis le restaurant Drouant : « Je m’attendais à une flopée de tours. Eh bien, non ! Pas du tout. Tout le monde a eu des voix aux deux premiers tours. Au 3ème tour, ça s’est décanté. Ce livre, petit, mais fulgurant sur la montée du nazisme. E. Vuillard a pris quelques scènes.
La première se passe en 1933, lors de la réunion des 24 gros industriels allemands, qu’Hitler fait cracher dans le bassinet !. C’est là qu’il les subjugue. Puis en 1938, c’est l’Anschluss. Comment Hitler arrive à humilier le chancelier d’Autriche et ensuite c’est l’invasion de l’Autriche. Donc ce sont des scènes les unes derrière les autres de la montée du nazisme. Il y a deux choses formidables : c’est d’abord l’écriture, par le style Vuillard qu’on connaît très bien parce qu’il a publié d’autres livres. C’est une leçon de littérature par son écriture et c’est une leçon de morale politique par le récit qu’il fait du nazisme. C’est-à-dire, qu’il montre qu’un groupe d’hommes, pas très nombreux mais par l’intimidation, comptant sur la veulerie des autres, par le bluff, par la brutalité.., arrive à circonvenir un pays et à déclencher quelques années après la catastrophe mondiale. Ce livre est sorti en mai, il était sur notre liste en septembre. —« Ce qui me navre un peu (et je le dis avec beaucoup d’humour) c’est que tout ce qu’on a lu cet été n’a servi à rien, puisqu’on l’avait lu en avril !!! » Bernard Pivot.
Eric Vuillard écrivain et cinéaste a reçu le prix Ignatius-J.- Reilly 2010 pour « Conquistadors » (Léo Scheer, 2009), le prix Franz-Hessel 2012 et le prix Valery-Larbaud 2013 pour « Congo » et « La bataille d’Occident » (Actes Sud-2012). Egalement parus chez Actes Sud : « Tristesse de la terre » (2014), prix Joseph-Kessel (2015), et « 14 juillet » (2016), prix Alexandre-Vialatte (2017)